Sur le symbole du triangle rouge : réponse aux tentatives confusionnistes
Dans le cadre de l’actuelle campagne électorale française, de plus en plus de réactions et de commentaires sont observés sur les réseaux sociaux et ailleurs au sujet du port du symbole du triangle rouge par plusieurs candidats essentiellement issus de la gauche. Ces réactions et commentaires tendent à jeter le soupçon de l’antisémitisme sur lesdits porteurs du triangle en raison de son usage actuel par un certain nombre de mouvements liés à la cause palestinienne, en ce compris le mouvement Hamas.
En tant qu’association porteuse de la campagne « Triangle rouge contre l’extrême droite » depuis de nombreuses années, les Territoires de la Mémoire tiennent à mettre plusieurs choses au point.
1. Depuis 1945, le symbole du triangle rouge a toujours été synonyme de mémoire de la persécution et la déportation des résistant.e.s et militant.e.s politiques dans les camps de concentration nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. À ce titre, il est et restera un symbole de la lutte antifasciste, de tout temps et en tout lieu, au même titre que le triangle rose pour la mémoire et le combat des personnes homosexuelles, ou le triangle bleu pour la mémoire et le combat des républicain.e.s espagnol.e.s. Symbole du combat social des « trois huit » au début du XXe siècle, le triangle rouge est aujourd’hui associé aux pages parmi les plus douloureuses de l’Histoire de l’Europe.
2. Qu’un symbole soit choisi pour transmettre une autre signification fait partie de l’évolution normale de tout signe. Comme le souligne Mayssoun Sukarieh, professeure d’études moyen-orientales au King’s College of London, « les symboles prennent des significations et ont une vie qui leur sont propres ». Qu’un triangle rouge fasse actuellement partie de la panoplie sémiologique des mouvements propalestiniens (au même titre d’ailleurs que le keffieh ou la pastèque) n’a donc rien d’étonnant. Mais cette utilisation particulière relève néanmoins de contextes politiques et historiques radicalement différents qui rendent particulièrement fallacieuse et malhonnête l’insinuation d’antisémitisme envers toute personne porteuse de ce symbole en France, en Belgique ou ailleurs.
3. S’il restera malheureusement toujours vrai que toute formation politique, de gauche comme de droite, ne pourra sans doute jamais être totalement exempte d’éléments se rendant coupables de racisme antisémite ou autre, il n’en reste pas moins que, contrairement aux formations de gauche récemment visées par un tel soupçon, le Front national, aujourd’hui Rassemblement national, a une histoire et une actualité parsemées d’actes et de discours racistes et antisémites parfaitement avérés. Choisir d’accuser d’antisémitisme des formations historiquement antifascistes, à un moment où l’extrême droite semble aux portes du pouvoir, nous paraît relever d’un confusionnisme dangereux et inacceptable. On le rappelle : le triangle rouge est un symbole antifasciste de lutte contre une extrême droite qui, elle, est historiquement raciste et antisémite.
En cette période où la marée de l’extrême droite semble monter un peu partout en Europe, il nous paraît important d’éviter tout amalgame sur des symboles représentant le souvenir et la perpétuation de la lutte de celles et ceux qui ont parfois donné leur vie pour l’espoir d’un monde meilleur. La compétition politique est légitime mais elle n’autorise pas tout, et surtout pas de s’autoriser de telles libertés avec la vérité historique.
Des gens comme Germaine Tillion, Robert Antelme, Jorge Semprún, Charlotte Delbo, David Rousset et bien d’autres ont connu l’enfer, ont eu la chance d’en revenir (contrairement à beaucoup d’autres) et nous ont laissé le témoignage de ce que leur combat leur a coûté. Peut-être est-il grand temps de les relire.