Quand les portes se ferment au monde associatif, c’est la démocratie qui reste à l’extérieur !

Carte blanche de Michaël Bisschops,
Président des Territoires de la Mémoire 

 

Ce 24 décembre 2024, nous étions là. Devant les murs, les grillages, les barbelés du centre fermé de Vottem. Là où l’humanité vacille et où la justice s’efface. Nous étions reçus aux côtés du CRACPE et de parlementaires fédéraux par la direction du centre. Mais sachez-le : le monde associatif n’est pas le bienvenu au-delà d’une salle de réunion ! Nous ne pouvons pas voir, nous ne pouvons pas entendre, nous ne pouvons pas témoigner. Fermer les portes aux associations, c’est ouvrir la voie à l’arbitraire et si la transparence dérange, c’est que la vérité doit y être inacceptable.

Comment accepter que, dans notre pays, des êtres humains soient réduits à l’état d’ombres ? Ce silence doit cesser. Ces murs doivent tomber. Parce que derrière eux, c’est l’humanité elle-même que l’on enferme.

Exclure les témoins du monde associatif, c’est trahir les principes fondamentaux de l’État de droit. Exclure les témoins du monde associatif, c’est permettre l’arbitraire. En muselant les voix critiques, on crée un espace où tout devient possible, même le pire. Refuser les visites des associations, c’est ériger un rempart entre la réalité et les citoyens, entre les droits humains et ceux qui doivent les défendre. L’opacité n’est jamais neutre : elle sert à masquer les dysfonctionnements, les abus, et les injustices. C’est dans cette obscurité que prospèrent les politiques de rejet et de déshumanisation. Nous ne pouvons pas nous taire car le silence, c’est la complicité.

Et pourtant, la loi prévoit un droit de regard. L’arrêté royal du 2 août 2002 permet au Ministre ou au Directeur général de nous ouvrir ces portes. Mais ils ne le font pas. Ignorer cet arrêté royal n’est pas acceptable. La transparence n’est pas un obstacle à l’équilibre entre contrôle démocratique et exigences opérationnelles.

Nous étions là, ce 24 décembre, le cœur chargé d’émotion, de tristesse et de rage. Une fois de plus, nous avons dénoncé cette injustice insoutenable, nous avons éclairé la face sombre de notre politique d’accueil. Nos démocraties s’érodent chaque fois que nous acceptons de traiter des vies humaines comme des chiffres ou des menaces. Derrière ces grillages et ces barbelés se cachent les conséquences d’une politique migratoire inacceptable. Derrière ces murs de béton, ce sont des vies humaines que l’on enferme. Des vies marquées par la guerre, la pauvreté, et des traumatismes que nos gouvernements choisissent d’ignorer. Ces bâtiments sont conçus non pour protéger ou accueillir, mais pour contrôler, stocker, marginaliser et déshumaniser encore davantage des personnes déjà fragilisées par l’exil.

L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme est limpide : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » … Cet article est l’un des piliers fondamentaux de cette Convention, une protection absolue contre tout traitement portant atteinte à la dignité humaine. Aucune exception. Aucune dérogation. Pourtant, en Belgique, derrière ces murs, des hommes et des femmes subissent l’inhumanité froide d’un système qui nie leur existence.

Nous n’allons pas détourner le regard. Cette institution n’est pas un accident, elle est le résultat d’une idéologie qui gangrène notre continent : une idéologie de la peur, du rejet, et de la déshumanisation. Nous devons avoir le courage de nommer l’idéologie qui sous-tend cette politique du « non-accueil » : celle de l’extrême droite. Une idéologie toxique qui cherche à diviser, qui nie notre humanité commune et perpétue les inégalités et les injustices.

Regardons autour de nous, regardons ce continent qui se laisse peu à peu engloutir par les marées nauséabondes de l’extrémisme. L’Europe, berceau de la démocratie et des droits humains, s’égare dans les ténèbres de la xénophobie et de la discrimination. Que reste-t-il de l’Europe des droits humains si nous tolérons ces murs, ces grillages et ces injustices ?

Est-ce là l’Europe que nous voulons construire ? Une Europe où la peur et la haine dictent nos actions, où l’indignation est étouffée par l’indifférence et la complaisance ? Non ! Nous aspirons à une Europe où chaque être humain est accueilli avec respect et dignité, où la diversité est célébrée et non crainte.

Les condamnations répétées de l’État belge ne sont pas de simples erreurs administratives. Elles représentent des atteintes graves à la structure même de notre système démocratique, elles sont des violations honteuses de l’État de droit. Si nous ne tenons pas nos dirigeants responsables, si nous ne leur demandons pas des comptes, alors nous acceptons que notre démocratie s’effrite inlassablement.

La crise migratoire n’est pas une crise, c’est un choix politique ! Après tant d’années de négligence délibérée, il est temps de reconnaître que l’inaction est un choix.

Et qui sont-ils, ceux que l’on enferme ? Des travailleurs de l’ombre, des hommes et des femmes qui, pendant des années parfois, ont occupé les postes que nous refusons. Sans bruit, sans vague,…juste pour vivre. Invisibles mais essentiels. Ils ont des amis, leurs enfants jouent avec les nôtres. Ils tendent la main aux autres, parce qu’ils savent ce que signifie la solidarité. Et pourtant, on les rejette. Comme si leur humanité valait moins que la nôtre. Ils ne demandent qu’un peu de dignité, une légalité pour travailler comme nous, une sécurité pour eux et leur famille et pourtant, ils font face au lamentable mur de l’indifférence.

Que faut-il de plus pour qu’ils soient enfin reconnus comme des citoyens, comme des humains ? Combien de vies brisées avant que nous ouvrions les yeux ?

Il faut du courage pour fuir. Pour se déraciner, tout quitter, risquer sa vie pour la sauver. Que croyez-vous qu’ils aient vécu pour que chacun d’eux soit prêt à laisser sa vie dans d’innommables conditions dans l’espoir d’obtenir une légitimité dans notre pays. Notre belle démocratie, terre d’accueil et d’espoir… Aujourd’hui, ces mots sonnent creux et me donnent la nausée.

Il est temps que nos gouvernements prennent leurs responsabilités. Qu’ils agissent enfin avec humanité. Ignorer cette crise politique n’est plus une option. Ignorer les cris de détresse, c’est se rendre complice. Nous refusons d’être complices. Nous refusons de nous taire. Je refuse de fermer les yeux et je refuse que ce gouvernement ferme les yeux en mon nom.
Nous revendiquons notre droit à l’indignation, à la colère, à la révolte face à cette politique inhospitalière qui bafoue les principes les plus élémentaires de la dignité humaine. Nous choisissons la solidarité, nous choisissons la tolérance, nous choisissons la lutte pour un monde plus juste, plus inclusif et plus humain. Nous n’oublierons jamais. Et nous continuerons à faire entendre nos voix.

Michaël Bisschops – Président des Territoires de la Mémoire
Mais surtout, un citoyen comme vous, comme eux…