Archives de l'Aide-mémoire>Aide-mémoire n°87

Le mot du Président (87)

Par Jérôme Jamin

Jérôme Jamin

Lorsque les fondateurs de notre association se sont mis autour de la table pour préparer les futurs statuts, ils étaient foncièrement inquiets de voir le retour de l’extrême droite sur la scène politique. C’était en 1993, et en tant qu’anciens combattants, anciens résistants et parfois anciens déportés des camps de concentration, ils percevaient mieux que personne les points communs entre l’ascension du Front national et du Vlaams Blok et le succès des fascismes des années 30 ! C’était d’ailleurs d’autant plus facile pour eux qu’à l’époque il existait au sein de ces partis un nombre considérable de cadres, d’écrivains et d’idéologues qui étaient également des anciens collaborateurs, quelques dizaines d’années plus tôt… Le lien entre l’extrême droite des années 90 et les fascismes historiques était une évidence !

Au-delà de l’extrême droite et du souvenir du fascisme, c’était aussi un attachement aux droits de l’homme qui a animé les porteurs de ce qui allait devenir les Territoires de la Mémoire. Ces droits sont fondamentaux pensaient-ils, ils sont une base solide pour préparer le futur, pour anticiper l’avenir, notamment en s’appuyant sur le passé et en ressortant des ténèbres les violations les plus terribles et les plus inouïes de la dignité humaine (barbarie nazie, totalitarisme stalinien, dictature de Pol Pot et de Pinochet, etc.). Les droits de l’homme dépassaient et dépassent toujours les cadres géographiques et les contextes historiques, ils concernent tout le monde à tout moment, ils sont universels ! Universels !

Universels ? C’est peut-être ici paradoxalement que le piège peut se retourner sur nous et c’est ici que réside le défi pour les 25 années à venir. Les droits de l’homme sont universels et donc, par nature, ils sont très souvent bafoués, les contextes sont tellement nombreux, les conflits tellement graves, les démagogues tellement charismatiques et les ressources tellement rares ! Ces droits sont décevants, ils sont souvent inefficaces, ils sont des mots avec parfois peu d’impact sur la réalité. Et leurs violations permanentes permettent à l’extrême droite de les défendre mais « chez soi » ! De les citer, mais pour « nous » ! D’y faire référence mais sans leur caractère universel.

L’extrême droite contemporaine au pouvoir ou proche du pouvoir (Hongrie, Autriche, Italie, Suisse, Brésil, États-Unis, etc.) ne rejette pas les droits de l’homme, elle les réserve à la population autochtone et « authentique », entendez blanche et chrétienne. Elle ne s’oppose pas frontalement aux droits fondamentaux, elle veut les circonscrire aux peuples occidentaux !

L’extrême droite sait que les pays qui se targuent d’être les plus respectueux des droits fondamentaux négocient avec les pires dictatures pour des raisons économiques quand d’autres donnent des leçons, tout en instaurant et en multipliant les exceptions sur leur propre territoire.

L’extrême droite perçoit le cynisme et propose des droits fondamentaux désormais locaux ou nationaux, mais certainement plus du tout universels ! Si cette conception des droits fait tache d’huile dans l’opinion publique, elle représentera un enjeu fondamental pour les Territoires de la Mémoire.