Aide-mémoire>Aide-mémoire n°87

Editorial
Un anniversaire... dans la lucidité

Par Julien Paulus, Rédacteur en chef

En cette fin d’année 2018, l’association Les Territoires de la Mémoire célèbre ses 25 ans d’existence. Cela fait donc un quart de siècle que bénévoles, militants, permanents se sont associés pour effectuer, avec toutes les compétences, la motivation et l’engagement disponibles, un travail de sensibilisation à la mémoire de certains faits dramatiques du passé, à leur compréhension et l’inscription du savoir qui en découle dans un projet d’édification d’une société plus juste, plus tolérante et plus respectueuse de chacun. Toutefois, comme le rappelle son directeur dans ces colonnes, s’il s’agit bien d’un anniversaire, l’esprit ne peut être totalement à la fête.

De fait, un simple coup d’œil sur la carte politique de l’Europe permet de se rendre compte que l’évolution de la tonalité générale, en 25 années, tend davantage vers un gris triste et potentiellement menaçant que vers l’azur d’un ciel sans nuages. Qu’on en juge : en 1993, un personnage comme Silvio Berlusconi n’était pas encore Président du Conseil italien et, en 2018, son parti de droite populiste Forza Italia se fait doubler sur sa droite par la xénophobe Ligue du Nord, rebaptisée Lega et devenue la deuxième formation du pays, loin derrière l’étrange formation populiste du Movimento 5 stelle fondée par l’humoriste Beppe Grillo.

En Allemagne, c’est la percée fulgurante du mouvement _Alternative für Deutschland qui inquiète. Après avoir manqué de peu son entrée au Bundestag en 2013, soit quelques mois à peine après sa fondation, ce nouveau parti y fera une entrée fracassante en 2017 avec 12,64% des voix et 94 sièges. Pour ce qui est de la France, il nous faut noter la qualification, à deux reprises, d’un Le Pen au second tour de l’élection présidentielle : le père Jean-Marie en 2002 et la fille Marine en 2017. Sans parler des récents résultats en Suède, du retour du FPÖ au pouvoir en Autriche en 2017, d’une certaine forme d’autoritarisme qui semble parti pour s’inscrire dans la durée en Hongrie et en Turquie, ou de la descente aux enfers de l’Ukraine._

Et comme si cela ne suffisait pas, ces montées aux extrêmes s’accompagnent d’un effondrement des partis traditionnels, une « pasokisation » constatée à maints endroits et que nous soulignions déjà pour le cas autrichien dans notre texte du numéro 77 de cette même revue.

Alors, oui, fierté légitime du travail accompli en 25 années d’existence, travail que les pages du présent numéro s’efforceront d’illustrer tout en ayant bien conscience de n’en présenter qu’un fragment, tant l’éventail est large. Oui, confirmation que la lutte menée est juste et nécessaire et qu’il convient de la poursuivre, peut-être sur des modalités qui seront encore destinées à évoluer. Mais non, pas de réjouissance excessive, ni d’autosatisfaction déplacée tant le contexte que nous vivons actuellement résonne comme un rappel impérieux : le combat est loin d’être gagné.