Aide-mémoire>Aide-mémoire n°84

Un magicien dans les camps de concentration

Par Jean-Louis Rouhart

Un magicien dans les camps de concentration

Voici un roman à mettre dans toutes les mains, en particulier de ceux qui n’ont encore qu’une idée très vague de la Shoah.

En lisant le roman de l’auteur allemand Emanuel Bergmann, paru en 2017 en français aux Éditions Belfond sous le titre Max et la grande illusion, on est progressivement amené à prendre conscience des mesures qui ont frappé les citoyens de confession juive dans l’Allemagne nazie et on se retrouve plongé, à la fin de l’ouvrage, dans l’univers impitoyable des camps de concentration.

Deux intrigues, contées avec beaucoup de talent, finissent par se rejoindre. D’une part, le lecteur suit le parcours d’un magicien juif d’origine tchèque, fils d’un rabbin, Mosche Goldenhirsch, qui fait carrière, sous le nom de « Grand Zabbatini », dans le monde du cirque dans l’Allemagne des années 1930. Dénoncé comme juif par le magicien qui l’avait initié, Mosche est torturé par la Gestapo, puis envoyé au camp de Theresienstadt. Là, il parvient à survivre comme Shéhérazade, en montrant et en expliquant ses tours de magie au commandant du camp.

L’histoire se poursuit avec la description du voyage en train du magicien de Theresienstadt au camp d’Auschwitz, voyage au cours duquel il dissimule dans sa malle à double fond une petite fille juive et lui sauve ainsi la vie sur la rampe d’Auschwitz. Parallèlement à cette intrigue, le lecteur suit les efforts d’un jeune garçon américain de confession juive (Max Cohen) qui, désespéré de voir ses parents se séparer, tente de les réconcilier à l’aide d’une formule magique d’amour éternel prononcée par le magicien Zabbatini. Comme cette formule a été enregistrée sur un disque rayé, Max se met à la recherche du magicien qu’il retrouve esseulé et désespéré dans un home. Il parvient à le convaincre de se produire dans une pizzeria à l’occasion de son anniversaire. Lors de ce spectacle, la grand-maman de Max reconnaît l’homme qui l’a cachée dans la malle. Sous le coup de l’émotion, le magicien a une crise cardiaque, puis meurt peu de temps après, entouré de personnes reconnaissantes qui prononcent pour lui le Kaddish. Les parents de Max se réconcilient.

Ce livre, dont la lecture est très agréable, ne nous apprend pas seulement que la magie n’est qu’une grande illusion. Il montre également, en mêlant habilement et à bon escient aspects humoristiques et dramatiques, les discriminations dont fut victime la population juive dans l’Allemagne d’avant-guerre et éclaire d’une perspective inédite – celle d’un enfant caché dans une malle – l’arrivée et la sélection des déportés sur la rampe d’Auschwitz.

Emanuel Bergmann, Max et la grande illusion, Belfond, 2017