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Les habits neufs de la bête : Trump, N-VA, AfD… nouvelle droite 2.0

Par Olivier Starquit

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Récemment, le New York Times a titré que Théo Francken était le Trump belge[1]. Ce qui n’a pas eu l’air d’étonner Ico Maly auteur de l’ouvrage Nieuw rechts[2] et professeur à l’université de Tilburg .

Trump et la N-VA

Tout d’abord parce que pour lui, Trump et la N-VA s’inspirent des mêmes sources : le philosophe anti-Lumières Edmund Burke, le philosophe Johann Gottfried von Herder, l’historien Friedrich Meinecke et Oswald Spengler, sans oublier Roger Scruton et Alain de Benoist.

Ces anti-Lumières contemporains que sont Trump, UKIP, la N-VA rêvent d’un monde de nations et de régions souveraines et homogènes sur le plan ethnoculturel et ils pensent tous que le monde actuel est dans une crise profonde mais aussi qu’une période dorée va surgir, à savoir une renaissance, celle d’un nouvel ordre mondial qui ne repose pas sur les droits humains universels mais qui comprend des groupes humains organiques et homogènes sur le plan culturel.

Trump ne serait que la radicalisation d’une idéologie qui modifie depuis déjà deux décennies les courants dominants et il a remporté les élections par le recours à un populisme algorithmique : où des algorithmes sont utilisés pour construire un peuple (il fait notamment appel à la société militaire Cambridge Analytica dirigée par Robert Mercer qui, en recourant à des millions de données liées aux clics a pu cibler des niches électorales, notamment en postant des dark posts[3] sur certains fils privés sur Facebook).

Ainsi, « le populiste contemporain utilise les réseaux sociaux pour s’attaquer aux médias dominants et paradoxalement, cela lui permet d’obtenir de l’attention dans ces médias[4] » (comment ne pas penser à nouveau ici à Trump, Wilders, De Wever et consorts). Pour le dire autrement, le populisme de Trump utilise au maximum l’économie numérique. Son populisme algorithmique a mis sur le marché une idéologie spécifique où le renouvellement est principalement rhétorique.

Enfin, comme la N-VA, Trump mêle à un nationalisme ethnoculturel un néolibéralisme national. Cette brève comparaison montre également que Trump n’est pas un phénomène états-unien, il est l’expression états-unienne d’un phénomène mondial : « l’Europe a des murs, a une police des frontières, elle démantèle l’État social, elle veut une armée forte. Les partis dominants reprennent la rhétorique et les points de départ idéologiques de la nouvelle droite… Trump n’est rien de plus que la radicalisation de la posture anti-Lumières soft hégémonique des élites politiques européennes[5] ».

Nouvelle droite anti-Lumières

Pour Ico Maly, nous assistons à l’heure actuelle à une redéfinition de la droite qui s’inspire d’Alain de Benoist, fondateur du GRECE (Groupement de Recherche et d’Études pour la Civilisation Européenne). Les tenants de la nouvelle droite veulent, en réaction à mai 68, une nouvelle narration du combat politique, culturel et idéologique mené depuis deux siècles contre les Lumières qui se traduit par une « nouvelle modernité qui ne repose pas sur les droits humains universels, une démocratie éclairée ou des idéaux comme la liberté et l’égalité[6] ». Ainsi, cette nouvelle droite accepte les procédures démocratiques mais pas l’égalité, ni les droits humains universels. L’inégalité serait l’ordre naturel : si cette nouvelle droite avait accepté au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale le cadre dessiné par la Déclaration universelle des droits de l’Homme avec les principes d’égalité (fût-elle seulement des chances) et de liberté comme fondement de la démocratie, les partis de droite sont aujourd’hui de plus en plus traversés par un clivage entre ceux qui veulent rester dans ce cadre et ceux qui souhaitent en sortir. Pour eux, toute ingérence « de l’État pour réaliser l’égalité est une tyrannie et de l’utopisme[7] ». Et dans cette optique, comment ne pas voir dans cette grille de lecture l’élément clivant qui traverse les partis de droite à l’heure actuelle (et le MR en particulier) concernant la question des réfugiés ?

En Europe, les partis nationalistes ont pris fait et cause pour les perdants de la mondialisation, avec une rhétorique contre l’immigration et ils promeuvent plutôt un État acteur moral qui doit être autoritaire et veiller à l’ordre des nations, des traditions et du tissu social.

Et nous vivons actuellement une accélération : « la mondialisation néolibérale crée une accélération par le biais du démantèlement de l’État social, l’évidement de la démocratie, la domination du marché, le passage à une économie postindustrielle, une augmentation de l’immigration et une montée du nationalisme ethnoculturel en guise de réponse : tous ces changements sont également liés à divers développements technologiques qui rendent la globalisation tangible[8]. » Les inégalités croissantes, la pauvreté, les salaires en berne, la précarité, les délocalisations et l’accroissement de l’immigration créent un monde instable. Depuis deux décennies, la nouvelle droite capitalise sur les perdants autochtones de la mondialisation avec un discours qui s’en prend à l’élite cosmopolite et politiquement correcte et qui pointe le multiculturalisme et la mondialisation comme origine de la dégénérescence de la nation.

Alain de Benoist et ses disciples ont souvent été présentés comme les tenants d’un gramscisme de droite : ils luttent pour les idées pas pour la conquête du pouvoir (avec succès)[9]. Les tenants de cette nouvelle droite rejettent le racisme biologique mais préconise plutôt un racisme culturel ou, pour le dire autrement, sont les partisans d’un nationalisme ethnoculturel : ainsi pour la N-VA, il existe un peuple flamand qui a produit sa propre culture et qui doit rester dominant, sinon c’est le déclin ; les réfugiés sont bienvenus s’ils adhèrent et contribuent à cette culture. Si à l’époque de Jean-Luc Dehaene, l’intégration se faisait par le travail, maintenant elle s’opère par la langue, les normes et les valeurs.

Et il est loisible de mesurer l’ampleur de leur avancée culturelle en poursuivant l’analyse comparative : la droitisation de ces trois dernières décennies a fait en sorte que les positions extrêmes se sont normalisées : « Aujourd’hui, la nouvelle droite a acquis l’hégémonie sur la démocratie, l’immigration, l’intégration et même les droits humains[10] ». Bon nombre des prémisses anti-Lumières font maintenant partie des idées dominantes ; elles sont perçues comme une attitude réaliste : l’idée propagée par la nouvelle droite selon laquelle l’immigration est une menace et doit être arrêtée est devenue hégémonique. Si les déclarations du Vlaams Blok (aanpassen of opkrassen, « s’adapter ou dégager ») suscitaient une levée de bouclier, aujourd’hui la présidente de l’Open Vld, Gwendolyn Rutten peut dire dans l’indifférence la plus totale doe normaal of ga weg, « comporte-toi correctement ou barre-toi », sans oublier Sarkozy et sa formule : « la France, tu l’aimes ou tu la quittes ».

Nouvelle droite 2.0

Une des raisons de cette hégémonie acquise est notamment liée au fait que cette constellation est un « phénomène idéologique polycentrique transnational fortement ancré dans la structure économique et numérique globale et néolibérale (FPÖ, AfD, Front national, British National Party, UKIP)[11] ». En effet, « la structure, la culture et l’idéologie de la nouvelle droite sont le produit de la numérisation et de la mondialisation[12] ».

Grâce à une pléiade de forums sur Internet (4chan, 8chan), de forums de discussion néonazi (Stormfront, retiré d’Internet après le massacre de Charlottesville), de pages Facebook (Schild en vrienden, de Fiere Vlaamse Memes qui est anti-wallon, anti-gauche et anti-immigrés) et la culture du troll qui consiste à poster des avis et des commentaires sur Twitter et sur les forums Internet afin de déclencher des réactions émotionnelles, des communications prétendument satiriques deviennent vite virales et cette viralité vise à construire un peuple numérique. Partout en Occident, les mêmes mèmes rances sont légèrement adaptés et repris en masse sur la Toile, citons par exemple Théo Francken en tenue d’empereur du Moyen-âge, chargé de défendre nos valeurs. Ico Maly y voit par ailleurs un écho spenglérien : le pays est en déclin et la dégénérescence est le fait des cosmopolites et des migrants. Cet ordre numérique est un mouvement polycentrique qui dispose d’un répertoire d’action collective commun et dans cette optique la culture du troll est devenue un support de la lutte politique au 21e siècle et force est de constater que le « média numérique est au 21e siècle ce que les salons étaient au 18e ou les halles au 19e siècle. Les individus se muent en militants dans les niches d’Internet et les militants deviennent des masses engagées politiquement et politisées[13] ».

Dans ce cadre, les médias numériques structurent l’espace politique, ils sont devenus une alternative aux médias de masse, ce qui n’est pas sans danger : « La numérisation de l’espace public renferme potentiellement un caractère antidémocratique : les hommes politiques ont de moins en moins besoin des médias dominants. Par le biais des médias numériques, ils peuvent atteindre un public tout aussi large, même plus large sans devoir se coltiner des questions critiques, ils contournent la fonction démocratique et de contrôle du quatrième pouvoir… [En outre,] nous ne voyons plus les mêmes choses : l’idée d’un espace public partagé comme base de la démocratie est morte. C’est notre identité algorithmique qui crée notre bulle et cette même bulle crée à son tour notre vision du monde et notre identité[14] ». Et comme les GAFA se présentent comme des entreprises technologiques et non des groupes médiatiques, ils ne doivent guère se préoccuper de la déontologie et ces opérateurs privés qui dominent l’espace public se permettent de définir les limites de ce qui peut être dit et de ce qui ne peut pas être dit.

Conclusions provisoires

Il ressort tout d’abord de tout ceci que les nationalistes de droite sont mieux organisés sur le plan international que les internationalistes de gauche.

Force est également de constater que « les anti-Lumières ont quitté les marges, le nationalisme culturel est devenu l’étalon ; en combinaison avec le néolibéralisme, le nationalisme a conduit à une normalisation des positions anti-égalitaires et à une attaque contre le principe de l’égalité et de l’état démocratique redistributeur. L’universalité des droits humains est également dans le collimateur… Le racisme culturel est devenu mainstream sous la forme d’une rhétorique xénophobe et contre l’immigration (au nom d’un prétendu réalisme) … et dans les débats sur l’intégration et l’immigration, l’identité est réduite dans les débats sur l’intégration et l’immigration à une identité ethnoculturelle ou nationale[15] ».

Certaines idées de la nouvelle droite sont actuellement portées par les élites politiques et économiques aux États-Unis, en Europe et dans les différents États et pays. Ces élites ne se définissent pas nécessairement comme étant de la nouvelle droite mais comme étant libérales, conservatrices, voire social-démocrates.

La démocratie se voit redéfinie, elle n’a plus rien à voir avec le concept historique de la démocratie et encore moins avec la démocratie des Lumières : l’essence de la démocratie devient son homogénéité et non l’aspiration à l’égalité ; sans l’homogénéité ethnoculturelle, la démocratie n’est pas viable (ainsi, De Wever qui affirme que la Belgique compte « deux » démocraties).

La nouvelle droite crée ainsi « une anti-démocratie qui n’est pas nécessairement une dictature, c’est une démocratie dénuée de l’idéologie radicale des Lumières, elle est intégrée dans la modernité alternative et elle se nourrit de l’idéologie anti-Lumières[16] ». Ce constat rend oiseux le débat visant à savoir si ces partis sont de droite ou d’extrême droite et renforce par contre l’importance de la radicalisation de la démocratie comme riposte.

  1. https://www.demorgen.be/plus/trump-verkoopt-dezelfde-ideologie-als-bart-de-wever-b-1516408801586/
  2. Ico MALY, Nieuw Rechts, Berchem, EPO, 2018
  3. Un dark post est un post payant ciblé qui est exclusivement visible sur le fil déroulant de l’utilisateur
  4. Idem, p. 46 (traduction de l’auteur).
  5. Ico MALY, p. 252
  6. Idem, p. 12
  7. Idem, p. 94
  8. Idem, p. 105
  9. Lire à ce sujet : http://www.territoires-memoire.be/am/160-aide-memoire-78/1345-le-gramsci-de-l-extreme-droite
  10. Ico MALY, p. 169
  11. Idem, p. 155
  12. https://www.apache.be/2018/01/19/nieuw-rechts-probeert-het-al-lachend/
  13. Ico MALY, p.221
  14. Idem, pp. 270 et 274.
  15. Ico MALY, pp. 241-242.
  16. Ico MALY, pp. 262.