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Editorial
Éditorial : Radicalisme de droite, un antisystème bien ordonné

Par Julien Paulus, rédacteur en chef

Le 23 mai 2016, il s’en est fallu de peu que le candidat du FPÖ autrichien, Norbert Hofer, devienne le premier chef d’État européen issu d’un parti d’extrême droite à être élu depuis la Seconde Guerre mondiale. La victoire sur le fil du candidat écologiste Alexander Van der Bellen a été vécue par beaucoup comme un soulagement mais ne doit cependant pas éclipser le fait que le parti de feu Jorg Haider a réalisé à cette occasion le meilleur score de son histoire avec 49,65% des suffrages exprimés au second tour, soit 2.223.458 voix. Il est également interpellant de constater que le second tour s’est joué entre deux candidats qui n’appartenaient pas aux deux grands partis traditionnels autrichiens, le conservateur ÖVP et le social-démocrate SPÖ, tous deux éliminés au premier tour avec un score avoisinant chacun 11%.

En France, le dernier sondage IPSOS réalisé entre le 13 et le 22 mai 2016 crédite Marine Le Pen de 28% d’intention de vote, la qualifiant ainsi pour le second tour de l’élection présidentielle. Autre enseignement de ce sondage (et de bien d’autres semblables), l’absence d’un candidat issu de la gauche à ce même second tour.

Un premier constat s’impose à la lumière des éléments qui précèdent : les partis traditionnels ou « de gouvernement » semblent dépassés par des formations ou des personnalités qui se présentent aux électeurs dans une posture « antisystème ». C’est manifestement le cas de l’Autriche, mais aussi celui de la France où la candidate « antisystème » par excellence a le vent en poupe, et c’est également le cas aux États-Unis où, parallèlement à Bernie Sanders côté démocrate, le phénomène populiste Donald Trump a déjoué tous les pronostics qui le voyaient sombrer face à des candidats républicains « sérieux » tels que Jeb Bush, par exemple.

Ce qui nous amène à dresser un second constat : à quelques exceptions près, le positionnement « antisystème » semble davantage faire recette à droite de l’échiquier politique qu’à gauche. Et ceci pose question. Pourquoi, en ces temps de crise et de mécontentement social généralisé, notamment en France, la colère des électeurs ne se traduit-elle pas électoralement par la hausse d’une gauche censée incarner des valeurs telles que l’égalité, la justice sociale et l’insoumission ? Pourquoi semble-t-il plus opportun politiquement d’incarner une forme de radicalisme de droite ? Sommes-nous là devant un rébus entouré de mystère au sein d’une énigme, pour reprendre l’expression de Churchill à propos de la Russie ?

Le chercheur français Nicolas Lebourg lève déjà un coin du voile quand il explique la nécessité pour Marine Le Pen de « trouver l’alliage qui lui permette d’être dure, antisystème, subversive, et rassurante, performante dans le même temps » (voir p.4), ce qui, en d’autres termes, évoque un subtil positionnement opportuniste de rupture en trompe-l’œil destiné à ratisser large. Par ailleurs, un deuxième coin était déjà levé, entre autres par Frédéric Lordon – encore lui ! – que nous citions dans un numéro précédent[1] et qui dénonçait déjà en 2012 les trahisons de la gauche face à l’idéologie néolibérale, trahisons qui faisaient (et font toujours) le lit du Front national. Et l’économiste de tirer la sonnette d’alarme face au « produit endogène des alternances sans alternative qui pousse, assez logiquement, les électeurs à aller chercher autre chose, et même quoi que ce soit, au risque que ce soit n’importe quoi[2] ».

Une posture révolutionnaire en trompe-l’œil alliée à un désarroi électoral devant la prise de conscience progressive de l’absence apparente d’alternative politique, voici des ingrédients dangereux annonciateurs de lendemains qui déchantent. Car, puisque c’est bien de « radicalisme » qu’il est question ici, rappelons que les valeurs qui résident « en la racine » de la plupart des droites radicales sont le postulat d’une inégalité naturelle entre les individus et l’inscription de cette inégalité dans un ordre social qu’il s’agit de conserver à tout prix.

Dans cette perspective, un radicalisme de droite qui se présenterait comme révolutionnaire et disposé à changer le monde ne pourrait être rien d’autre qu’une escroquerie.

  1. « La gauche, entre crise et renoncements » in Aide-mémoire n°69, juillet-septembre 2014.
  2. Frédéric Lordon, « Front national : mêmes causes, mêmes effets… », http://blog.mondediplo.net/2012-05-02-Front-national-memes-causes-memes-effets