Aide-mémoire>Aide-mémoire n°77

« Aide-mémoire fait débat » : petit compte-rendu des deux premières rencontres sur le radicalisme

Par Gaëlle Henrard

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Retour sur les deux premières rencontres d’« Aide-mémoire fait débat ». Nous souhaitions y rencontrer les lecteurs mais aussi rassembler les gens autour de questions de société et les faire participer à la réflexion lancée dans les pages de la revue. Ce fut l’occasion d’aborder un certain nombre de sujets, d’échanger les points de vue et d’alimenter la réflexion via différents regards. Toute cette année, nous avons choisi d’aborder la thématique du radicalisme qui a été déclinée suivant différentes approches : le radicalisme politique, celui de la gauche, les usages et mésusages langagiers, politiques et médiatiques, les radicalismes religieux. Dans le numéro précédent nous abordions le radicalisme de droite et d’extrême droite et nous finissons ici l’année avec la démocratie radicale. Notre envie a vraiment été de tenter de détricoter collectivement ce terme épuisé sémantiquement notamment par les médias pour lui rendre du sens, pour lui rendre sa radicalité et son caractère positif. Ce mot et ses dérivés (radicalisation, radicaux, radicalisés, déradicalisation) apparaissent en effet partout mais que signifient-t-ils au juste et est-il pertinent de les utiliser autant ? Est-ce un comportement, une approche, une idéologie ? Quel lien le radicalisme entretient-il avec la violence ? Que nous dit ce concept de ceux qu’il cherche à désigner et que nous dit-il de ceux qui l’utilisent ?

Pour tenter d’initier une compréhension du terme et avant de s’essayer à une explication de ce que recouvrerait la lutte contre le radicalisme, Olivier Starquit a d’abord invité à s’interroger sur ce que celle-ci ne disait pas : « Ainsi, une définition en creux du citoyen non radical tend à indiquer qu’il n’est pas musulman, qu’il n’est pas immigré et qu’il se satisfait de sa position sociale. » Constat donc, qu’outre les mots « terroriste » et « populiste », le terme « radical » serait lui aussi utilisé à des fins de disqualification de tout propos et/ou comportement qui sortirait de la norme. Or le sens initial du terme « radical » étant de revenir à la racine, on peut conséquemment se demander pourquoi empêcher que la question soit posée. Une hypothèse avancée : « refuser d’aller à la racine des problèmes de notre société revient à dire qu’il faut tout faire pour que rien ne change, continuer sur la voie tracée d’une société consumériste qui va droit dans le mur. »

Et la violence dans tout ça ?

Autre question importante qui a suscité le débat : celles des liens que le radicalisme entretiendrait avec la violence, puisque là aussi, si l’on se réfère à l’usage médiatique, l’un ne semble pas aller sans l’autre, qu’il s’agisse des intégrismes religieux, des manifestations syndicales et autres actions écologistes comme en témoigne la polémique qui a pu se déployer en 2014 suite à la mort de Rémi Fraisse lors des manifestations contre le barrage de Sivens. On aurait presque l’impression que le champ d’application de la violence ne cesse de s’amplifier. Force est cependant de constater que ce n’est que dans un certain sens que l’usage terminologique s’étend. Difficile en effet de repérer dans le discours médiatique une quelconque dénonciation des violences symboliques ou sociales. Ne dénonce pas la violence qui veut. Ainsi en est-il également de l’usage d’un autre terme, celui de « légitimité », immédiatement abandonné à la seconde où un mouvement ou une revendication prendrait une tournure qualifiée de violente[1]. On en revient d’ailleurs à cette question entre le légitime et le légal que beaucoup ne cessent de confondre. Or, quand les moyens légaux de contestation ne fonctionnent pas, quels sont les moyens légitimes pour être entendu ? Il fut donc débattu de l’opportunité de condamner ou non une certaine forme de radicalité lorsqu’elle tend à verser dans la violence.

Radical, une position hors cadre ?

D’ailleurs, il est à noter que si la radicalité n’induit pas forcément un comportement violent, un comportement violent ne doit pas être considéré comme radical pour autant. Le fait qu’il y ait opposition ou violence n’induit pas forcément la radicalité. Ainsi fut évoqué phénomène de « sherwoodisation », de ces personnes qui disparaissent des radars, de toute sécurité sociale et qui s’inscrivent par là dans une forme de radicalité mais qui n’ont rien de violent. À l’inverse, il y a des gens qui ont des pratiques violentes, notamment en manifestation, sans pour autant être dans la radicalité. Dans cette optique, la radicalité serait davantage une position hors cadre en terme de discours, d’analyses, mais aussi de comportement, et qui ne serait pas nécessairement à rapprocher de la violence. Une posture radicale se positionnerait ainsi hors de l’institué.

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Ceci rejoint quelque peu un article récent de Frédéric Lordon qui, au sujet notamment du mouvement Nuit Debout, pose les termes de « l’alternative radicale » : « Comprenez bien que_ nous ne revendiquons rien_. Entendez qu’après quelques décennies à faire, vous et vos semblables, la démonstration de vos talents et de votre hauteur de vue, l’idée de négocier quoi que ce soit avec vous nous apparaît absolument sans objet. C’est que “revendiquer” n’a de sens que dans un certain cadre qu’on reconnaît par là implicitement comme légitime, et tautologiquement comme hors du champ de la revendication elle-même – puisqu’il en est le cadre… Or, vient fatalement un moment où à force de combats dérisoires pour des miettes, et même en l’occurrence pour simplement résister à la diminution des miettes, l’impensé du cadre revient à la pensée. Non plus comme objet de “revendication” mais comme objet de renversement[2]. » Et un peu plus loin : « Nous rassembler, ne pas rentrer, ne pas revendiquer : concentré d’inquiétante étrangeté en effet pour les administrateurs du cadre[3]. »

Par rapport à la question du « hors-cadre », la distinction nécessaire entre radicalisme et extrémisme d’une part, et entre radicalisme et intégrisme d’autre part, fut également réfléchie. Si certains voient l’extrémisme comme la position à la limite du cadre, voire qui repousse les limites du cadre, d’autres y voient plutôt l’idée de dogmatisme. C’est d’ailleurs à ce titre que, pour certains, le radicalisme n’est pas ou ne doit pas être un dogmatisme. Il était donc question d’une certaine vigilance vis-à-vis de ce moment où on serait amené à penser, en tant que radical, que « ceci est la vérité ». Quitte-t-on le radicalisme pour rejoindre une forme d’intégrisme, d’extrémisme lorsqu’on érige des vérités et qu’on refuse de plier pour les défendre ? De même, quitte-t-on un cadre pour forcément en recréer un autre ? Le radical serait-il toujours celui qui se positionne hors-cadre… avec le risque de toujours penser être plus intègre ou plus proche de la « vérité » que l’autre ?

Mais est-il à ce point mal vu, dans le débat actuel, d’être ou de se définir comme radical ? Pour Jean Faniel, il est important de distinguer le terme « radical » de celui de « radicalisé », le second impliquant un mouvement, une évolution personnelle comme si c’était connoté plus négativement d’avoir suivi ce mouvement. On reprocherait ainsi davantage à des jeunes de retour de Syrie ou à des syndicats de s’être radicalisés, c’est à dire d’avoir fait le « choix » de ce changement. Dans les deux cas, l’idée demeure de disqualifier et criminaliser, puisqu’à ce processus répond celui, inverse, de « déradicalisation ».

Réappropriation vs abandon des mots

Au sujet de la confiscation ou de l’épuisement sémantique, la question a été posée de savoir s’il fallait plutôt se réapproprier des mots et concepts désormais chargés négativement (terrorisme, populisme, radicalisme) ou si quelque part, il valait mieux les laisser à « l’adversaire ». L’idée soulevée par Jean Faniel de regarder à quelles fins sont utilisés les mots peut s’avérer une bonne piste pour aider à faire la part des choses. Les utilise-t-on comme insulte et outil de la morale ou comme catégorie d’analyse et outil technique ? Dans le second cas, on peut alors retrouver des mouvements radicaux bien différents dont certains seront considérés comme dérangeants voire dangereux : Sharia 4 Belgium par exemple mais aussi le CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes), les Femen, etc.

Par ailleurs, s’il fallait se réapproprier le terme de « radicalisme », il serait évidemment nécessaire de le nourrir et de l’incarner, soulevait un intervenant. Quel serait le dénominateur commun des radicalismes, des radicaux ou de ceux qui se pensent comme tels ? Utiliser le concept de radicalisme comme idéologie pourrait s’avérer peu porteur. En revanche, l’idée d’essayer d’avoir une congruence entre une pensée, un discours et un comportement peut aider à une caractérisation technique du terme, c’est-à-dire considérer le radicalisme comme un moyen et non une fin en soi, quelque chose dont la réalisation ne serait pas dans le produit mais dans le processus, la démarche.

La question centrale des médias

Difficile toutefois d’aborder la question de la réappropriation des termes sans aborder celle de la réappropriation des médias qui utilisent, véhiculent et vulgarisent le langage. Et c’est un combat permanent de faire circuler les mots dans le sens qu’on veut leur donner a fortiori quand ils sont destinés à nous définir nous-mêmes. Une position radicale est une position d’exigence, a-t-on pu entendre dire, à commencer par une exigence langagière.

Les médias alternatifs[4] qui témoignent d’une réappropriation du langage et de la parole politique des gens fleurissent d’ailleurs depuis quelques années. La toile, notamment, leur offre une tribune relativement libre, sorte d’agora 2.0, qui permet tant au témoignage qu’à l’analyse politique, sociologique, économique ou encore scientifique de s’exprimer, le tout souvent teinté d’humour (chose qu’on observe peu dans les médias classiques) et surtout avec des mots qui n’ont pas été vidés de leur sens. La question des moyens du financement (notamment participatif) de telles initiatives est elle aussi centrale. On peut également noter que ceux qui animent certains de ces médias[5] ne sont pas forcément des diplômés des écoles de journalisme classiques, mais souvent des jeunes (ou moins jeunes) directement concernés par les questions qu’ils soulèvent, qui parlent en leur nom, qui se donnent l’autorisation que le statut, l’emploi ou le diplôme ne leur a pas forcément donnée. Ils livrent ainsi une analyse ancrée dans leur réalité à destination de personnes pour une bonne part confrontées aux mêmes réalités qu’eux. Ils ne parlent pas parce qu’ils ont un titre mais parce qu’ils ont quelque chose à dire, à faire, et en étant, d’une certaine façon, déliés du souci de conserver ou non l’emploi (qu’ils n’ont d’ailleurs pas toujours), le statut et la légitimité.

Puisqu’on est de toute évidence mal servis par les médias, c’est aussi notre travail de citoyen d’aller voir ce qui se passe ailleurs, de développer notre esprit critique que ce soit à la télévision, à la radio, dans la presse, sur la toile ou dans des débats publics.

  1. Là aussi, l’exemple de la qualification par la Secrétaire du PS le 31 octobre 2014 dans l’émission « Ce soir (ou jamais !) » de Frédéric Taddei de « mouvements crépusculaires », « dangereux pour le pays » pour parler de militants écologistes qui « n’auraient rien à voir avec des revendications politiques adressées au gouvernement et adressées aux autorités locales dans le cadre de causes écologiques légitimes ». https://www.youtube.com/watch?v=T_hj5pmygVQ
  2. Frédéric LORDON, « Nous ne revendiquons rien » : http://blog.mondediplo.net/2016-03-29-Nous-ne-revendiquons-rien.
  3. Ibidem.
  4. Voir notamment une liste non exhaustive de ceux-ci sur le site L’indigné du canapé, http://www.indigne-du-canape.com/liste-de-sites-alternatifs-qui-nentretiennent-pas-la-confusion/.
  5. Voir notamment la plateforme #On vaut mieux que ça dont font notamment partie des jeunes comme Ludo Torbey (« Osons Causer ») ou Usul (« Mes Chers Contemporains »).