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La défaite du Vlaams Belang : une bonne nouvelle en Europe ?

Par Jean Faniel

Centre de recherche et d’information socio-politiques – CRISP

Lors du scrutin multiple du 25 mai 2014, l’extrême droite francophone, très morcelée et empêchée de déposer des listes sous le sigle FN1, n’est pas parvenue à réintégrer les assemblées parlementaires, dont elle a été écartée en 2009 et 2010.

Plus spectaculaire encore a été la défaite du Vlaams Belang (VB). Le parti flamingant d’extrême droite a perdu la moitié des voix recueillies en 2010, quasiment les deux tiers des votes obtenus en 2009, et les trois quarts de sa représentation à la Chambre (où il ne pourra plus former un groupe), se heurtant même au seuil de 5 % en Flandre occidentale. Avec un peu moins de 6 % des voix flamandes, le VB chute significativement sous les 10,3 % de votes acquis le 24 novembre 1991, le « dimanche noir ». Cet échec cuisant frappe un parti qui, il y a à peine dix ans, attirait un quart de l’électorat flamand, ce qui faisait de lui l’une des formations d’extrême droite les plus prospères d’Europe.

Cette situation contraste à première vue avec celle survenue dans plusieurs pays proches lors du scrutin européen qui s’est déroulé au même moment dans toute l’Union. Plusieurs partis d’extrême droite ont en effet enregistré des progrès très nets, arrivant même en tête dans certains pays. Dans d’autres, l’extrême droite est en revanche devancée par des partis nationalistes, parfois eurosceptiques, mais qui ne peuvent être qualifiés de partis d’extrême droite. Comment situer le cas belge dans ce double contexte ? Et comment l’extrême droite, en ce compris le VB, tente-t-elle de s’organiser au niveau européen ?

Tensions internes et concurrences externes

De 1985 à 2007, le VB a été le seul parti du pays à progresser à chaque élection, avant de connaître des reculs successifs depuis 2009. Mais c’est à partir de 2006 que la dynamique ascendante a commencé à se gripper. Cette année-là, le VB se présente pour la première fois sous l’appellation Vlaams Belang. Deux ans auparavant, trois asbl satellites du Vlaams Blok ont été condamnées par la cour d’appel de Gand pour infraction à la loi réprimant les faits inspirés par le racisme et la xénophobie, arrêt confirmé par la Cour de cassation le 9 novembre 2004. Pour éviter de perdre sa dotation publique, le Vlaams Blok s’est mué le 15 novembre 2004 en Vlaams Belang. Au scrutin communal et provincial d’octobre 2006, le VB accroît très nettement son implantation locale, gagnant plus de 300 mandats supplémentaires. Mais cette progression est éclipsée par la défaite, plus psychologique qu’arithmétique, enregistrée à Anvers : bien qu’il grappille encore 0,5 % de voix de plus qu’en 2000, le Vlaams Belang perd le leadership qu’il détenait depuis 1994, la liste conduite par le socialiste Patrick Janssens le devançant de 1,8 %. Pire encore pour lui : le cordon sanitaire dressé à son encontre tient bon partout, malgré la nouvelle poussée électorale.

Durant la seconde moitié des années 2000, des tensions importantes commencent à poindre dans les rangs du VB : défection d’un député flamand qui rallie la Lijst Dedecker (LDD) fraîchement créée, divisions sur l’idéologie à mettre en avant (Filip Dewinter incarnant une ligne dure, focalisée sur la lutte contre l’immigration), sur la stratégie à poursuivre et sur les alliances à envisager (afin de sortir de l’isolement causé par le cordon sanitaire en s’alliant par exemple à la LDD ou à la Nieuw-Vlaamse Alliantie – N-VA).

Surtout, le VB doit faire face à une concurrence rude sur le terrain du nationalisme de droite. Créé comme dissidence de la Volksunie (VU), le VB a pu tirer parti de, voire accélérer la lente érosion, puis la disparition de ce parti. La création de la N-VA et, davantage encore, la rupture, en septembre 2008, du cartel formé par celle-ci avec les chrétiens-démocrates flamands (CD&V) vont avoir un rude impact sur le VB. Se plaçant dans le sillon creusé par ce dernier – dénonciation des compromis des partis traditionnels (notamment sur le terrain communautaire), exigence d’une réforme institutionnelle forte préparant l’indépendance de la Flandre, critique du laxisme supposé des francophones, fermeté à l’égard de l’immigration, mise en avant d’une politique socio-économique clairement marquée à droite –, mais ne relevant pas de l’extrême droite, et ne souffrant dès lors pas du cordon sanitaire, la N-VA parvient peu à peu à siphonner le réservoir électoral que le VB s’était progressivement constitué, notamment au détriment de la VU – sorte de retour du balancier de l’histoire. La mise en rapport des gains de la N-VA (+18,8 % au Parlement flamand) et des pertes du VB et de la LDD (respectivement –9,4 % et –7,6 %) lors du scrutin de 2014 s’avère de ce point de vue assez frappante.

On peut donc considérer que la faiblesse actuelle de l’extrême droite belge francophone et la déroute récente du Vlaams Belang semblent avant tout liées à un contexte spécifique, fait de divisions internes pour la première et de concurrence avec le nationalisme flamand de droite pour le second. Le terreau alimentant le vote pour ces partis n’a cependant pas disparu : difficultés économiques et sociales pour une partie des électeurs, vivant une situation précaire, refus des solidarités pour une autre, dont les conditions de vie ne sont pas a priori menacées, rejet des différences, sentiment d’insécurité, récriminations à l’égard du monde politique, etc. Mais le vote inspiré par ces facteurs semble s’être canalisé davantage vers des partis de droite dure (tels que, vraisemblablement, le Parti populaire du côté francophone), et nationaliste en ce qui concerne la Flandre (la N-VA). Si elle n’est pas évidente à tracer, on peut considérer que la frontière qui sépare la droite classique, fût-elle dure, de l’extrême droite, tient à la vision fondamentalement différentialiste et inégalitaire des êtres humains (les hommes par rapport aux femmes, les hétérosexuels aux homosexuels, les blancs aux noirs, les nationaux aux étrangers, etc.) de la seconde, qui la différencie de la première2.

En Europe, les scores contrastés de l’extrême droite

La situation belge dénote par rapport à celle observée dans plusieurs autres pays à l’occasion du récent scrutin européen. Le Parti du peuple danois (26,6 %) et le Front national français (25 %) accroissent de manière spectaculaire leurs résultats par rapport à 2009 (respectivement +11,8 % et +18,7 % des voix), arrivant chacun en tête dans leur paysage politique national. Sans remporter un tel succès, le FPÖ autrichien (19,7 %, +7 %) et les Démocrates suédois (DS ; 9,7 %, soit +6,4 %) progressent significativement. Aube dorée en Grèce (9,4 %, troisième parti grec) et le NPD allemand (1 %), qui figurent parmi les partis d’extrême droite les plus radicaux, entrent au Parlement européen. En Hongrie, Jobbik est stable (14,7 %, –0,1 %) mais passe de la troisième à la deuxième place, tandis que le Parti des vrais Finlandais (PS) arrive en troisième position en Finlande (12,9 %). Ces résultats, non négligeables, ont conduit nombre de médias à considérer les partis d’extrême droite comme vainqueurs du scrutin européen.

Le tableau est cependant plus contrasté. D’une part, parce qu’il existe des différences appréciables au sein de l’extrême droite3. D’autre part, parce que d’autres formations de cette mouvance ont connu des résultats nettement moins bons. Aux Pays-Bas, le Partij voor de vrijheid (PVV) de Geert Wilders perd un tiers de ses électeurs de 2009 (13,2 %, soit –6,8 %) ; il est toutefois le troisième parti néerlandais. En Italie, la Ligue du Nord, apparemment prête à siéger aux côtés du Front national français au sein du Parlement européen, recule significativement (6,2 %, soit –4 %). Le cas belge semble plus comparable – en termes d’évolution des résultats électoraux de l’extrême droite au scrutin de 2014, mais pas nécessairement du point de vue des causes de cette évolution – aux pays de ce second groupe, dans lesquels on observe un recul, léger ou plus prononcé, de l’extrême droite.

Dans d’autres pays encore, les partis traditionnellement classés à l’extrême droite perdent toute représentation européenne. Le Parti de la Grande Roumanie (PRM), qui a frôlé les 20 % des voix aux élections législatives de 2000, représente aujourd’hui 2,7 % de l’électorat roumain. En Bulgarie et en Slovaquie, Ataka et le Parti national slovaque (SNS) font à peine mieux, avec 3 % et 3,6 % des suffrages respectivement. Enfin, le British National Party (BNP, 1,1 %) et le LAOS grec (2,7 %) perdent chacun leurs deux élus.

Un succès des nationalismes ?

Si les cas britannique et grec sont marqués par un semblable recul de l’extrême droite traditionnelle, ils traduisent en réalité une évolution particulièrement contrastée. En Grèce, un autre parti d’extrême droite, Aube dorée, connu pour sa violence et pour ses références au nazisme, a connu une progression fulgurante, sur fond de reculs sociaux et démocratiques aux conséquences ravageuses, dans un pays qui se trouve, en raison de sa situation géographique, en première ligne pour voir arriver des migrants tentant de forcer les grilles de l’Union européenne.

Au Royaume-Uni, c’est le parti eurosceptique UKIP, au nationalisme prononcé et recourant parfois à un discours anti-immigrés, qui devient le premier parti (26,8 %, +10,7 %). Comme dans le cas flamand, c’est donc un parti nationaliste mais ne relevant pas de l’extrême droite (UKIP ou N-VA) qui rassemble plus d’un quart de l’électorat, au détriment notamment de l’extrême droite classique (BNP ou VB)4.

Ces exemples permettent de poser un constat : les élections européennes du 25 mai 2014 ont été marquées dans bon nombre de pays par le succès d’un parti nationaliste, préconisant une certaine forme de repli sur sa communauté ; mais tous ne relèvent pas nécessairement de l’extrême droite et de son idéologie fondamentalement inégalitaire. Au Royaume-Uni (et surtout en Grande-Bretagne, la situation prévalant en Irlande du Nord étant différente) et en Flandre, le parti d’extrême droite, ostracisé, a perdu la bataille face à un parti nationaliste considéré comme plus fréquentable. En France ou au Danemark, par contre, le FN ou le Parti du peuple n’ont pas de concurrent nationaliste ; dans une élection mêlant enjeux de politique nationale et campagne sur l’Union européenne, leurs positions parlent tout particulièrement à une part importante de l’électorat mécontente à l’égard des dirigeants nationaux et des politiques européennes. Dans ces deux groupes de pays, le discours nationaliste, voire xénophobe de ces partis séduit visiblement davantage que celui de partis de gauche radicale, proposant une critique fondée sur une analyse en termes de rapports sociaux de classe plutôt que de race ou de nation. Certaines exceptions se sont toutefois manifestées, en particulier en Grèce ou en Espagne, Syriza arrivant en tête dans le premier pays (26,6 %, soit +21,9 %), le nouveau parti Podemos d’une part et la coalition incluant Izquierda Unida d’autre part totalisant 18 % des votes dans le second (contre 3,7 % pour cette coalition en 2009).

Vers un groupe d’extrême droite au Parlement européen ?

Bien que l’extrême droite ait connu des succès non négligeables au récent scrutin européen, la constitution d’un groupe de cette mouvance au sein du Parlement européen installé le 1er juillet demeure incertaine. Pour former un groupe dans cette assemblée, il faut en effet que se rassemblent 25 députés européens au minimum, partageant des affinités politiques et issus de sept États membres différents.

Avec 24 sièges, le FN français remplit quasiment à lui seul l’un des critères. Mais il lui faudra trouver des partenaires provenant de six autres pays au minimum. De ce point de vue, le fait que le VB ait conservé un siège au sein du Parlement européen est une bonne nouvelle pour Marine Le Pen, les deux partis cultivant de longue date des liens étroits, réaffirmés largement durant la campagne électorale. Le FPÖ (Autriche), le PVV (Pays-Bas) et la Ligue du Nord (Italie) semblent prêts également à intégrer un groupe formé par le FN et le VB. En revanche, les tentatives de la présidente du FN, avant même le scrutin, de rallier d’autres partis à sa cause se sont avérées jusqu’ici peu fructueuses. En particulier, l’UKIP reste opposé à l’idée de s’allier à des partis d’extrême droite traditionnelle pour former un groupe. Le Parti du peuple danois ne semble pas davantage le souhaiter. De petits partis d’Europe de l’Est pourraient par contre faire l’appoint.

Quand bien même un tel groupe verrait-il le jour, il demeurerait fragile puisque la défection d’un ou deux partis à peine pourrait lui faire perdre sa qualité de groupe. Par le passé, un tel cas de figure s’est déjà présenté. En 2007, suite aux propos peu amènes d’Alessandra Mussolini à l’égard des Roms, le PRM (Roumanie) a mis fin à sa collaboration avec les autres partis d’extrême droite au sein du groupe Identité, Tradition, Souveraineté qu’ils venaient de créer, entraînant la dissolution du groupe.

Ne pas vendre la peau de l’ours…

Nombreux sont ceux qui se réjouiront des difficultés que les partis d’extrême droite pourraient rencontrer à collaborer et à peser – fût-ce légèrement – sur le fonctionnement du Parlement européen. La chute du Vlaams Belang, qui paraissait si inconcevable il y a une décennie, sera également saluée par bon nombre de citoyens. Enfin, on a souligné ci-dessus l’échec de l’extrême droite dans plusieurs pays, notamment d’Europe centrale et de l’Est.

Il n’en demeure pas moins que les succès sans précédent remportés dans plusieurs États européens sont préoccupants. Qu’un quart de l’électorat français vote pour le FN, dans un contexte de déchirement de la droite classique et de perte de confiance et de repères de la gauche de gouvernement, inquiète déjà nombre d’observateurs et de citoyens en vue de l’élection présidentielle de 2017. De manière plus immédiate, cette poussée de l’extrême droite et des nationalismes de droite (comme la N-VA en Belgique) pourrait avoir pour conséquence d’accentuer la pression sur les gouvernements nationaux et les institutions européennes afin qu’ils mènent des politiques plus restrictives encore en matière sociale, migratoire, voire de libertés publiques. Tel pourrait être a fortiori le cas si de tels partis sont amenés à participer de manière directe à l’exercice du pouvoir exécutif. Ce mouvement n’est d’ailleurs pas nouveau et est bien connu en Belgique, où le durcissement de la politique migratoire mené par des ministres tels que Johan Vande Lanotte et Louis Tobback (SP.A) ou, plus récemment, Maggie De Block (Open VLD), s’est opéré dans un contexte de durcissement européen, certes, mais aussi de montée du VB puis de la N-VA.

Enfin, même face à la défaite récente du Vlaams Belang, il ne faut pas nécessairement baisser la garde trop vite. Où en sera ce parti dans cinq ans ? Il y a sept ans, la victoire de Nicolas Sarkozy aux élections présidentielles était censée marquer la fin du FN…

  1. J. Dohet, J. Faniel, S. Govaert, C. Istasse, J.-P. Nassaux, P. Wynants, « Les partis sans représentation parlementaire fédérale », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2206-2207, 2014, p. 56 et s.
  2. Au-delà, on peut considérer que les partis d’extrême droite sont porteurs d’un programme socio-économique de droite (corporatiste, néo-libéral ou d’une autre forme), d’un nationalisme exacerbé marqué par la xénophobie, et d’un attachement à l’autorité et à l’ordre.
  3. Voir à ce propos J.-Y. Camus, « Extrêmes droites mutantes en Europe », Le Monde diplomatique, mars 2014, p. 18-19.
  4. Soulignons que les positions de l’UKIP et de la N-VA par rapport à l’Europe sont assez différentes, la seconde étant traditionnellement favorable à la construction européenne, mais défendant une Europe des régions, ce qui la rend critique à l’égard d’une évolution fédéraliste de l’Union européenne.