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Leçons meurtrières

Par Jean-Louis Rouhart

Parmi les nombreux articles consacrés à la Première Guerre mondiale, on épinglera celui de l’historien Volker Weiss paru dans le magazine allemand Zeit Geschichte (Der Erste Weltkrieg, n° 1, 2014), intitulé « Mörderische Lehren » (« Leçons meurtrières ») et qui traite entre autres des rapports étroits que l’on peut établir entre les deux guerres mondiales.

L’auteur rappelle d’abord que la propagande nazie s’est nourrie des témoignages des anciens combattants de la Grande Guerre, du concept de la communauté nationale impliquée totalement dans l’effort de guerre (« Volksgemeinschaft ») et de la légende du coup de poignard (« Dolchstosslegende »), soi-disant porté dans le dos des combattants allemands (allusion au défaitisme de la population civile, des milieux de gauche et des révolutionnaires de novembre 1918, déclarés responsables des échecs militaires).

Il montre ensuite que la Première Guerre mondiale a été le prélude aux horreurs de la Seconde, un champ d’expérimentation pour des idées déjà clairement formulées en 14-18 et qui ont été appliquées d’une manière plus radicale durant le deuxième conflit mondial. Les leçons que tirèrent tant les milieux militaires que les mouvements d’extrême droite et revanchards allemands des atrocités de la Grande Guerre les poussèrent non pas à s’orienter vers des idéaux plus pacifiques, plus humanitaires, mais les incitèrent au contraire à adopter une politique d’oppression plus brutale, plus meurtrière encore, envers leurs opposants.

C’est ainsi que la Wehrmacht, après avoir analysé les raisons de la défaite de 1918, a réalisé qu’il était nécessaire de mobiliser la société civile tout entière pour une guerre totale et de mettre en œuvre tous les moyens de propagande possibles en vue d’assurer une victoire rapide. Pour régler les problèmes d’approvisionnement des troupes qui s’étaient posés en 14-18, il fallait accorder une importance primordiale à l’économie de guerre et coloniser des territoires à l’Est pour faire venir des matières premières et de la main d’œuvre. Cette idée de germanisation des territoires de l’Est répondait également à la volonté d’homogénéiser ces territoires, de les « purifier» ethniquement, de façon à établir un cordon sanitaire de protection contre la Russie slave, considérée comme une menace. On peut expliquer ainsi la création de la zone « Ober Ost » dans les régions situées à l’est de l’Allemagne durant la Première Guerre, zone qui allait, en s’étendant, devenir l’objet du « General Plan Ost » et de ses applications génocidaires durant la Seconde Guerre mondiale.

Par ailleurs, la déportation de milliers de civils en Belgique et dans le Nord de la France et leur mise aux travaux forcés en Allemagne préfiguraient le sinistre Service du Travail Obligatoire (STO), instauré durant l’Occupation allemande en 40-45.

Quant aux personnes de confession juive, elles étaient déjà en 14-18 les victimes de persécutions arbitraires, en Allemagne et ailleurs, en témoignent par exemple la destruction de la ville polonaise de Kalisch, où vivait une population à majorité juive, ainsi que l’internement de Juifs dans des camps, avec obligation de porter des insignes distinctifs et chances minimes de survie.

Il s’avère ainsi que la Première Guerre mondiale ne fut pas seulement pour les Allemands une défaite traumatisante engendrant après 1918 un nationalisme agressif. Elle véhicula dans certains milieux des idées qui, en se radicalisant, allaient provoquer en 40-45 les ravages que l’on connait.