Aide-mémoire n°94

1786. Alma a 13 ans et vit en Afrique. Alma signifie « libre » chez les Okos. Avec son petit frère Lam, elle fait la rencontre d’un zèbre un peu spécial qui va éveiller leur curiosité et faire basculer leur existence… À ce destin s’entremêlera celui de Joseph Mars qui s’est glissé dans un navire de traite, La Douce Amélie. L’écrivain nous fait voyager en alliant roman d’aventures, fresque historique et récit initiatique. Il y aborde l’esclavage et le combat pour son abolition dans une histoire aussi vaste et puissante que l’océan Atlantique sur lequel nous sommes transporté·e·s. Le premier volet d’une trilogie prometteuse bien que controversée car son auteur est… un homme blanc. Les éléments quant à la traite sont en tout cas rapportés avec justesse, les personnages ont de la consistance et l’auteur parvient à faire écho à l’actualité sur le racisme, en poésie. Aux lecteur·rice·s de construire leur propre opinion. Ce livre est destiné aux 11 ans et plus.

« Pourquoi est-il si difficile de parler de racisme quand on est blanc ? »
Dans ce manuel antiraciste, la sociologue américaine Robin DiAngelo interpelle sur ce qu’elle nomme la « fragilité blanche » : ce mécanisme de défense ou de déni évitant de reconnaître les privilèges blancs, les comportements racistes inconscients et de traiter le racisme systémique persistant. Après avoir étudié le sujet durant 20 ans à travers des ateliers sur la diversité et le multiculturalisme, elle partage ses constats dans un ouvrage qui bouscule les certitudes et nous invite à l’introspection. Notons enfin que les différents chapitres contiennent des exemples et contre-exemples permettant d’illustrer concrètement les propos et de dynamiser la lecture.

Pourquoi y a-t-il tant de blessé·e·s en manifestation et surtout, pourquoi leur nombre augmente-t-il si vite ? Paul Rocher s’interroge ici sur l’utilisation banalisée des armes dites « non létales » et leur impact sur le comportement des forces de l’ordre et sur celui des manifestant·e·s en conséquence… « En pratique, suggérer qu’une arme est non létale revient à donner carte blanche à son utilisateur. » Par cette analyse profonde et vulgarisée, l’auteur ne désire pas seulement dresser un état des lieux des violences policières et susciter en nous de l’indignation, il vise à comprendre et révéler les mécanismes générant l’escalade de la violence étatique dont nous sommes spectateur·rice·s et/ou victimes.

« Le mot est faible »… d’une certaine manière ? Le mot se laisse retourner dans tous les sens, on peut lui faire dire tout et son inverse, suivre des modes, le dévoyer, particulièrement dans le champ politique. En même temps, cela ne dénote-t-il pas justement son potentiel de pouvoir et les effets bien concrets qu’il peut avoir sur le réel ? Depuis 2019, avec leur collection éponyme, les éditions Anamosa encouragent – comme disait Orwell – « à ne pas capituler devant » les mots, mais à s’en saisir et à leur « rendre à ce qu’ils veulent dire » en mettant en perspective critique leur acception changeante. Dans cette optique, le mot devient un instrument fort d’émancipation individuelle mais également de transformation sociale. Ici, Guillaume Mazeau, historien à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Samuel Hayat, docteur en science politique de l’université Paris-8 Saint-Denis se plient à l’exercice en se confrontant respectivement au mot « Histoire » et « Démocratie ».

Le Pardaillan est la revue du Centre International Michel Zévaco, journaliste anarchiste et auteur de roman français de la fin du XIXe siècle. Cette revue, de niveau universitaire, donne un espace de réflexion et de publication aux chercheurs qui se consacrent aux littératures populaires. Dans ce numéro hors-série, vous trouverez aussi bien une analyse des Renards pâles de Yannick Haenel qu’un article sur Les Simpsons – la satire pouvant être une forme de révolte ou une présentation des rébellions dans les fictions pour ados. L’indignation peut prendre n’importe quelle forme littéraire ou médiatique !

« L’étude de la dictature a acquis, en Occident, une dimension presque exotique ». Pourtant nombre de personnes de par le monde vivent encore sous pareil régime. Et nos sociétés démocratiques, quant à elles, ne semblent pas définitivement « vaccinées » contre certaines logiques autoritaires. Face à ces constats, El Aswany a choisi d’écrire un livre pour essayer d’isoler les racines de ce mal. Dans celui-ci, l’écrivain égyptien — reconnu internationalement… et censuré par les autorités de son pays — délivre « une analyse clinique de la dictature », aussi bien en tant que système idéologique que réalités concrètes. Ce « rapport médical » est étayé d’exemples, de faits et d’anecdotes historiques, d’éléments autobiographiques, de théories sur la servitude, la coercition. Grâce à ce style de radiographies, la prévention deviendrait-elle possible ? Alaa El Aswany nourrit cet espoir !

Les « empoisonneurs » ? Voyez-vous à qui fait allusion l’auteur ? Si, ces intellectuels réactionnaires obsessionnels qui alimentent les colères identitaires et les passions xénophobes dans l’opinion publique. Ces propagandistes qui se disent victimes de la « bien-pensance », marginalisés… mais qu’on ne cesse de voir dans les médias, et qui embrassent parfaitement la tendance du moment de « la stigmatisation à tout va ». Les Renaud Camus, Eric Zemmour, Alain Finkielkraut… Au moyen de son livre, Sébastien Fontenelle a décidé de les bousculer ! D’une part, en dévoilant leurs stratégies « pour occuper la place » dans l’espace médiatique ; et d’autre part, en nous fournissant une analyse critique de leurs discours à partir d’extraits et d’exemples concrets. Le tout agrémenté d’une mise en perspective historique démontrant la filiation de ces messages de haine avec la rhétorique d’extrême droite d’antan. Autres temps, mêmes maux…

Haut les mains !!! Ceci est un hold-up éditorial ! La revue de L’Association voit arriver à sa tête un nouveau rédacteur en chef providentiel et son cercle de nouveaux collaborateurs. Entrerions-nous dans l’ère de l’Homo Lapinus nouveau ?! Le thème du numéro est tout trouvé. Haut la main, braquage sur la démocratie, place au fascisme. La joyeuse équipe de bédéistes satiriques s’en donne à cœur joie, dézinguant les nazis en tout genre, l’autoritarisme du régime macroniste, la répression de ses flics, les softs totalitarismes… Il en ressort une revue collective, à la diversité de styles et de tons (textes, dessins, strips, collages, poèmes…), d’un Killoffer à une Aurélie William Levaux, réunis dans une belle parodie de journal. En somme, une hétérogénéité résolument… antifasciste !

Qui peut citer l’équivalent belge de Jean Moulin ? Ou parler de la vie dans le maquis ardennais ? La mémoire de la résistance durant la WW2 serait petit à petit « tombée dans l’oubli en Belgique ». Depuis les années 1990-2000, une génération d’historiens-archivistes – parmi lesquels Fabrice Maerten – s’emploie à la réhabiliter. Le présent ouvrage s’inscrit dans cette entreprise. On y découvre les raisons de ce processus d’« amnésie », mais aussi la vivacité et le visage multiforme de la résistance en Belgique ! En parallèle de ce nécessaire travail de (re)contextualisation, Maerten et les autres contributeurs proposent un rigoureux guide d’archives, à même d’aider quiconque désirerait effectuer des recherches sur la vie des papys et mamies résistantes… Ces dernières ont assurément quelque chose à nous dire sur le monde d’aujourd‘hui !

Rappelez-vous : « L’Europe est un vaste désert agricole que la toute puissante firme Diosynta exploite sans partage. » Une organisation clandestine lui résiste : « La Résilience ». Trois de ses membres, Adam, Ellen et Agnès mènent une opération commando ayant pour but de détruire une nouvelle espèce de plante transgénique développée en secret… dans un laboratoire en Arctique ! Une aventure pleine de dangers en tout genre… et de manipulations. Malheureusement, selon nous, Lebon et Poupelin bouclent cette série plaisante dans la précipitation, avec une fin trop abrupte et convenue…

Printemps 1945. C’est dans un Berlin en ruines et bombardé que nous entrons. En alternant habilement dialogues et narration, nuances de gris et couleurs, Nicolas Juncker nous plonge dans la lutte pour la survie et la « guerre de libération ». Parmi les corps creusés par la faim et les grands yeux au regard expressif nous rappelant un peu les personnages de Tim Burton, il y a Ingrid qui travaille à la Croix-Rouge allemande. Plus tard, nous faisons connaissance avec Evgeniya qui travaille à la N.K.V.D. Elle arrive de Russie et participe à la recherche des restes d’Adolf Hitler. Alors que tout semble les opposer, elles partagent des points en commun liés à leur condition de femme, le décalage avec leur entourage abruti par la haine et la violence ou encore l’écriture dans un journal intime, témoin de ce qu’elles vivent et observent. Le récit expose les marques laissées par la guerre mais il est ponctué d’humour bien placé et nous incite à la réflexion et la remise en question sur le passé, sur la morale…

La Terre a viré à l’apocalypse climatique, et pour les survivant·e·s, la course à la survie est engagée ! Certain·e·s voient leur salut dans le train Transperceneige. Mais rapidement cette utopie d’« arche de Noé 2.0 » va virer au cauchemar, reproduisant un monde de violence, d’injustice, et d’exploitation. Avec ce 2e tome-préquel, nous en apprenons encore un peu plus sur les origines du récit initié par le dessinateur Jean Rochette et Jacques Lob en 1982-83.

Les élections arrivent à la ferme et avec elles, un nouveau candidat que personne ne connaît… Votez Leloup ! est destiné aux enfants dès 6 ans, et aux plus grands évidemment ! Cet album illustré permet d’aborder les questions de la démocratie et de la propagande sous la forme d’une fable. Raconter l’histoire autour d’animaux est une manière détournée et amusante de traiter de sujets complexes. Une vulgarisation accessible et plutôt réaliste mais attention tout de même, vulgariser ne veut pas dire trop simplifier au risque de pratiquer des raccourcis maladroits… De plus, le choix des espèces animales dans les rôles de « gentils » et de « méchants » est discutable : il peut renforcer les stéréotypes et diaboliser les animaux prédateurs. Des débats supplémentaires peuvent donc se créer. Enfin, qui dit fable dit morale, ici elle ne se montre pas moralisatrice mais plutôt implicite et ouverte.