Aide-mémoire n°91

Jacques Derrida dénonçait déjà en 1995, l’apparition d’un « délit d’hospitalité ». Aujourd’hui, ce « délit » est toujours actuel avec une Europe qui devient de plus en plus inhospitalière. Mais que penser de cette notion d’hospitalité ? Ne risque-t-elle pas d’attiser la peur de l’Étranger ? Ce numéro se demande « si cette notion permet de penser le passage de l’accueil à l’intégration, à la citoyenneté ; si toute hospitalité ne tend pas forcément à se renverser en hostilité ; et quelle politique de l’hospitalité, quels nouveaux dispositifs seraient requis pour résister à cette inversion hostile. ».

Philippe Mahoux a été sénateur (et ministre) pendant près de trente années. Dans ce livre, avec Jean Blairon, docteur en philosophie et lettres, il nous propose un travail réflexif sur son expérience parlementaire, son « agir politique en pratique », portant plus particulièrement sur la manière dont il a pu – avec ses collègues – faire passer des lois. En somme, un bilan sur le temps long afin de produire des connaissances qui pourraient aider à améliorer durablement notre système de « fabrique des lois ». À leur manière, les auteurs souhaitent ainsi lutter contre le discrédit que connaît actuellement la « démocratie représentative » !

Fin du XIXe siècle, dans un contexte marqué par des attentats anarchistes, les parlementaires français votent plusieurs lois – les fameuses « lois scélérates » – qui répriment la presse et les opinions libertaires. En mobilisant des textes d’intellectuels opposés à l’époque aux dites législations, Kempf dénonce leur élaboration dans l’émotion et sans réel débat démocratique, mais surtout le fondement liberticide qu’elles portaient en leur sein… Fort de l’accroissement de son pouvoir sécuritaire, l’État français appliquera en effet ces mesures d’« exception » contre « la figure de l’ennemi type » de manière permanente, et les instrumentalisera pour contrer plus largement d’autres formes d’oppositions politiques. Le passé est éclairant pour réfléchir à notre présent, et Kempf nous montre que ces mécanismes anti-démocratiques sont reproduits. Par exemple, la loi prolongeant l’état d’urgence contre le terrorisme a permis d’assigner à résidence des militants écologistes lors de la COP 21 en 2015. Le Président François Hollande l’a d’ailleurs reconnu plus tard…

Défaites vos idées toutes faites sur l’anarchie. En 80 pages, superbement illustré par Winshluss, le concept politique de l’anarchie n’aura presque plus de secret pour vous. Simple et efficace, riche en informations, drôle à lire, ce 29^e numéro de la collection est à mettre entre toutes les mains pour qu’enfin, cette idéologie politique ne soit plus associée au chaos, au désordre, à la violence et aux bombes des illégalistes. « L’anarchie est la plus haute expression de l’ordre », comme le dit Élisée Reclus.

Ce livre présente l’histoire tragique de la montée du nazisme via trois personnalités et leurs écrits personnels, le journal de Joseph Goebbels, le journal d’Alfred Rosenberg et les cahiers noirs de Martin Heidegger. En exploitant et explorant ces trois carnets, « il s’agira de montrer comment une tradition philosophique de qualité est détournée et absorbée par une idéologie mortifère ».

Fin du dyptique autobiographique de la famille Naggar, au Liban, en1975, en pleine guerre civile. Qui dit guerre, dit pénurie, attentats, bombes et morts. Dans ce chaos, la vie continue malgré tout son petit bonhomme de chemin, amour, angoisse, culture, plage… et puis la « fuite », le départ vers un havre de paix. « Tous les jours, sur de nombreuses routes du globe, des hommes, des femmes, des enfants quittent leur foyer et leur terre. Tout départ, tout arrachement est douloureux car on ne sait jamais où l’on va, comment on nous accueillera et ce que l’avenir nous réservera. Et ensuite, pour toujours, on porte l’exil en soi. De mal, il peut se transformer en un bien précieux pour devenir citoyen du monde. »

« Je vous parle de ce que j’ai vu, Miss B… Rendez l’injustice visible. Faites cesser la peur. Ce sont les deux seuls moyens qui vous sortiront de votre prison. » Revisitant le court roman de George Orwell La ferme des animaux, cette bande dessinée montre comment les animaux ont réorganisé la vie dans le château après le départ des humains. Appelée « République des animaux », il ne s’agit pas de démocratie mais bien de dictature, avec à sa tête le puissant taureau Silvio et sa meute de chiens. Les animaux travaillent dur et sont payés une misère. Miss Bengalore (ou Miss B), une chatte craintive qui essaie d’assurer la survie de ses deux petits chatons, s’associe avec un lapin gigolo et un rat nommé Azélar qui apporte avec lui un vent d’espoir et de lutte. La résistance s’organise !

Tout, tout ce que vous avez voulu savoir sur la vente d’arme ! C’est quoi une arme ? Qui vend ? Qui achète ? Combien d’argent ça rapporte ? Combien de travailleurs, de travailleuses ? Quels sont les critères pour vendre des armes ? C’est quoi le « marché gris » ? Qu’en faire en fin de conflit ? Le tout illustré par Fifi (dit aussi Philippe Sadzot), dessinateur liégeois, ce qui lui fait au moins un point commun avec un vendeur wallon d’armes légères, mais qui font de gros dégâts.

Si vous croyez déjà avoir tout vu en matière de propagande, il vous reste à lire et à parcourir ce grand cirque électoral. Affiches, tracts mais aussi briquet, autocollant, t-shirt, préservatifs tout est bon pour se faire élire. Et donc aussi se faire critiquer, avec humour et aussi parfois, avec violence. Et puis il y a tous les « doux dingues ou extralucides » qui se présentent et saupoudrent les campagnes d’un peu de légèreté. Bémol, uniquement la France. L’auteur aurait certainement des choses à montrer pour la Belgique.

Avril 1945, Daniel, un jeune rabbin américain s’engage comme aumônier auprès des troupes alliées pour essayer d’apporter un peu de sa foi sur les champs de bataille. Arrivé en Allemagne, il participera à la libération du camp d’Ohrdruf, un camp rattaché à Buchenwald. Il se retrouvera confronté à la réalité des camps de concentration et croisera le regard d’un enfant mutique et décharné, qu’il prendra sous son aile et à qui il fera la promesse de retrouver ses parents. Mais comment conserver sa foi face au « silence de Dieu » lorsque l’on est témoin de cette barbarie ?

Makhno, la Makhnovchtchina… Ces noms peuvent paraître familiers pour qui s’intéresse à l’histoire anarchiste. Pour les personnes plus « néophytes », Thirault et Zaghi ont eu la bonne idée de retracer dans cette BD la vie de Nestor Makhno, ce « petit » Ukrainien né dans une famille pauvre, éduqué dans une famille riche (qu’il fuira), et qui adulte s’est dressé contre l’injustice et l’inégalité dans l’Ukraine rurale. En plein contexte de fin de Première Guerre mondiale et de Révolution soviétique, il crée avec d’autres l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne qui combattra la bourgeoisie, l’État, les Allemands, les armées blanches puis rouges… leur opposant le fameux drapeau noir à tête de mort, façon pirate-cosaque !

Le Projet Crocodiles naît sur Internet en même temps que le site Paye Ta Shnek et bien avant le mouvement #metoo. Le livre met en scène des témoignages de femmes victimes de harcèlement de rue et de sexisme avec une originalité : les hommes sont représentés sous la forme de crocodiles. Ce deuxième tome offre une vision plus large et rend compte d’actes sexistes qui se déroulent aussi ailleurs que dans la rue : les violences gynécologiques et obstétricales, le sexisme dans les rapports avec la police, en milieu professionnel, dans la sexualité, la vie publique ou encore l’éducation.

« Voter ! Un droit et un devoir pour ton bon citoyen d’un État. » En est-on vraiment sûr ? Ce livre en défendant la légitimité de l’abstention, attaque de front cette conviction. Ne pas voter est aussi un acte politique mais celui-ci n’est vraiment pertinent que lorsqu’il est accompagné d’un engagement et des actions populaires et solidaires.

L’auteur nous raconte la vie de Kim Keun-Tae, président de la Fédération de la jeunesse démocratique, puis dirigeant de l’Alliance nationale démocratique de la Corée. Un militant qui se bat pour la démocratie en Corée du Sud et qui se verra arrêté et emprisonné à Namyeong-dong en septembre 1985. Pendant ses 22 jours de captivité, il y sera torturé et pratiquement laissé pour mort. Il y fera de faux aveux, contraint par la torture, et sera condamné à cinq ans d’emprisonnement pour violation de la loi sur la sécurité nationale. Traité comme une bête nous montre également comment des êtres humains ordinaires peuvent devenir des tortionnaires quand ils sont pris au piège des rouages de la machine institutionnelle.