Paroles de haine ? Paroles de Libertés !

Les phénomènes de cyberharcèlement et de cyberviolence sont en nette augmentation. Depuis plusieurs années, les chiffres et les constats sont sans appel: nul n’est épargné, mais des enfants, des adolescents et des femmes en sont davantage victimes. La prise de conscience de ces formes de violence, en particulier envers les enfants, est heureusement croissante, grâce notamment aux acteurs du monde éducatif. Il faut continuer en ce sens, développer de nouveaux outils et agir désormais structurellement. Chez les adultes, le cyberharcèlement est tout aussi violent. Il frappe durement les personnes – souvent des femmes – mais il détériore aussi tant de lieux et d’espaces de notre vie commune, nos échanges, nos débats et nos interactions. Subtilement et pernicieusement, ce phénomène se joue d’une soi-disant « liberté d’expression », en permettant à des harceleurs de s’attaquer à une cible et en l’incitant à se taire.

Le Centre d’Action Laïque et ses associations dont les Territoires de la Mémoire, rappellent l’absolue nécessité de ne pas subordonner la liberté d’expression à la subjectivité de ses propres causes et de rester fermes sur ce principe. D’une part, les procédés de harcèlement ne relèvent pas de la liberté d’expression et leurs auteurs doivent être sanctionnés, et d’autre part les victimes doivent être protégées. Chacun de nous, au gré de ses appartenances, vit d’opinions et de combats légitimes, et ceux-ci doivent pouvoir se dire, en sorte que vive le débat démocratique. À cet égard, on ne peut que s’inquiéter de constater un pouvoir de censure délégué à des entreprises privées comme Twitter et Facebook. Une démocratie fonctionne avec du consensus mais aussi du dissensus et le pluralisme est à ce prix. Pourtant, s’il faut des échanges, des dialogues et des débats et si la liberté d’expression est un droit fondamental, il n’en demeure pas moins qu’il faut aussi en penser les limites afin qu’elle s’exerce pleinement! Et, à cet égard, la grande marchandisation des réseaux que nous disons « sociaux » n’est pas sans de nombreux risques… Chaque jour nous apporte la liste de celles et ceux qui les quittent, victimes d’attaques indignes dont l’objectif n’est pas de respecter le cadre démocratique d’un débat mais bien d’anéantir une personne. Situation terrible car elle génère des blessures profondes et bien des replis.

Parmi toutes les sphères sociales touchées par ce fait, l’École est un endroit qui fait face à ces tensions. Lieu par excellence où l’on doit pourtant apprendre à être décentré de ses certitudes, une tendance de fond et de repli sur ses opinions personnelles incite cependant de plus en plus de professeurs à s’autocensurer. Ce constat est confirmé par un récent sondage du Centre d’Action Laïque auprès du corps enseignant. C’est dans ce même cadre que le Centre d’Action Laïque a directement soutenu Nadia Geerts alors qu’elle faisait face à un déchainement de violence pour avoir, sur base argumentée, défendu la neutralité dans l’enseignement et relayé la disposition du règlement intérieur qui interdisait jusque-là le port des signes convictionnels à l’école. Il ne s’agit pas de considérer ces éléments pour faire valoir que le professeur, dans sa classe ou en dehors, aurait le droit de tout dire et que ce droit serait en perdition. Non, il faut les comprendre comme une alerte sérieuse qui doit nous faire réfléchir sur les missions de l’École et la façon dont elle nous éduque à la citoyenneté et à tous ces grands textes qui fondent nos droits humains. Ces alertes obligent à interroger l’exercice de nos libertés et droits fondamentaux.

Face à ces constats, il est urgent d’agir ensemble et, au-delà des divergences de fond sur tel ou tel sujet, de défendre fermement le principe démocratique de l’expression libre, respectée, et protégée de tout risque de (cyber-)harcèlement. Nous, Centre d’Action Laïque et ses associations, compte tenu des valeurs de liberté et d’égalité que nous défendons, plaidons pour:

  • Le respect et le soutien inconditionnels au principe de la « liberté d’expression », véritable baromètre de l’état de santé d’une démocratie, et également une éducation à l’explication de son émergence, de son histoire, de ses acquis, de ses usages et évidemment de ses limites légitimes.
  • Le soutien au travail législatif actuellement pendant à la Chambre et autres futures initiatives visant à lutter contre la cyberviolence et le cyberharcèlement, notamment sur les réseaux sociaux qui amplifient ces dynamiques. Ce point doit devenir prioritaire dans les travaux parlementaires.
  • Des mécanismes rapides d’aide et de soutien, qui soient humains et pédagogiques, émanant des PO et des directions dès que des professeurs ou des élèves sont victimes de propos de haine, de violence ou de discrimination.
  • Une éducation et une sensibilisation des personnels policier, judiciaire et administratif à toutes les formes de cyberviolence et de cyberharcèlement.

Ces 4 mesures peuvent protéger la liberté d’expression et l’inscrire dans un cadre constructif, générateur d’échanges et de partages, tout en punissant les comportements violents et destructeurs. À côté de cela, un travail de fond, plus structurel, doit être mené dans toutes nos écoles, afin que les citoyens de demain apprennent, dès le plus jeune âge, ce qu’est un fait, une opinion, une vérité, une connaissance, un jugement, un argument, une émotion, un sentiment, etc. Ce savoir-faire n’est pas inné et nécessite d’être appris, accompagné et exercé tout au long du développement de sa vie citoyenne, et donc de sa scolarité. En cela, un cours de philosophie et citoyenneté pour tous les élèves s’avère primordial pour leur apprendre à pratiquer la décentration, c’est-à-dire la mise en perspective de l’information.

Si l’on veut protéger la liberté d’expression, il est urgent de lutter contre le (cyber-)harcèlement qui relève uniquement d’un comportement destructeur et souvent sexiste. La question du cadre de la liberté d’expression est un enjeu fondamental tant il détermine la place que nous accordons à l’autre, mais aussi au doute, à la remise en question et donc à la santé de notre démocratie : pouvoir s’exprimer librement, et dans un cadre respectueux au sein de l’agora publique, constitue la garantie de pouvoir interroger nos certitudes et de lutter contre nos préjugés, bref d’exercer notre pensée critique. Et ce, à la recherche de mots justes et rassembleurs, plutôt que d’actes violents et destructeurs.

Véronique De Keyser, présidente du Centre d’Action Laïque
Christine Mironczyk, présidente de la Fédération des Amis de la Morale Laïque
Luc Pirson, président de la Fédération des Maisons de la Laïcité
Jérôme Jamin, président des Territoires de la memoire
Benjamin Beeckmans, président du Centre communautaire laïque juif
Nicolas Darcis, président de la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel
Djemila Benhabib, porte-parole du Collectif Laïcité Yallah
Roland Perceval, président de la Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente

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